SALZINSEL is an independent magazine dealing with culture, politics and arts. It includes articles on various themes, events, institutions and artists, but also creative texts, music and visual arts.

Friday, February 10, 2012

Silentio Delicti


Silentio Delicti
de Filip Markiewicz

Abbaye de Neumunster, Luxembourg.
Jusqu’au 5 mars 2012.


Je rentrais dans la cour, le patio de l’abbaye,
appelée par une musique de fanfare.

Il y avait là une cour étrange, autour d’un homme
et son équipe. Une bataille entre une société
et l’armée révolutionnaire, entre les spectateurs
du changement et les actants.


Dans la foule, là, je ne reconnais pas beaucoup de visages. Je suis à l’étranger.
J’ai traversé une frontière. Je suis là, au milieu d’autres et pour une fois, perdue.
Mais suis-je perdue ? Non. Je reconnais quelques visages. Amis.
Je suis française. Je suis voisine. Je suis aussi d’ici.
Il est luxembourgeois, polonais, vivant en Allemagne, ayant étudié en France.
Nous sommes voisins.
L’avons été.

Où suis-je ?

Je suis dans un camp retranché allié après la signature de la Paix. Thanks G.I. Le sang est limité. Au milieu des croix rouges en deuil, enterrons la frontière qui nous fouettait.

Tenues de soirées vs treillis.

Le nouveau chef, le mentor donne ses ordres.
Nous avons tellement l’habitude de grands discours économiques, alarmistes, destructeurs que nous sommes perdus, nous ririons presque. Le leader nous demande d’ « imaginer ». Alors, il lit son Manifeste pour la Technologie de Dépolitisation du Corps.

Imaginer.
En France, nous sommes en pleine campagne présidentielle. Mégalomanes par nature, il n’y a plus que cela qui existe pour nous. Alors, là, à l’Abbaye de Neumünster, à l’étranger si proche, je vois un meeting.
Et pour la première fois en 15 ans de possession de carte d’électeur, j’ai envie de voter pour un programme et non contre les autres.
Non pas parce que cela me fait rêver. Non. Simplement parce que c’est la vie que je crois mener.
Parce que c’est la vie de la majeure partie des européens voyageant ou vivant sur des frontières.
Parce que c’est ce que nos politiciens oublient : notre réalité.
Leur économie (CECA, CEE, UE…) n’a pas changé grand-chose à notre quotidien. Elle a accéléré le passage aux frontières : nous ne saluons plus poliment le douanier mais roulons à 70km/h.
Mais comme avant, nous : frontaliers, voyageurs, nous traversons les frontières, nous travaillons ensemble, nous mangeons ensemble, nous buvons ensemble, nous dansons ensemble, nous nous baignons ensemble, nous roulons ensemble, nous parlons, étudions, consommons ensemble. Nous tombons même amoureux les uns des autres. Fous.
Nos politiques ne pensent qu’à l’administration et aux palmarès économiques. Certes. Mais nous, peuples, Peuple, vivons cette vie que le manifeste défend.
Il ne nous reste plus qu’à le leur faire comprendre. Contre ceux qui rejettent et qui crient, aux quatre coins de nos pays, de notre Europe.





                                                                                                                                                                     @Filip Markiewicz


























Image.
Filip Markiewicz nous donne à voir une Europe sans localisation.
L’Europe qu’il montre est faite de forêts, de vieux, de chevaux, de paysans.
L’Europe qu’il montre est construire sur les ruines de guerres, de millénaires de guerres, de la dernière guerre, qui a laissé ses cicatrices – comme les autres, mais plus que les autres pour que ce soit la dernière – partout.
Il pourrait être dans les Ardennes belges françaises ou luxembourgeoises,  en Serbie, en Pologne…
Il est partout où nous avons un aïeul. Partout où nous avons souri en dansant.
L’Europe qu’il montre, dans ses dessins délicats, est faite d’images partagées. D’infirmières de la Croix Rouge et de joueurs de foot. Nous avons une culture commune. Nous sommes un Peuple uni. Autant que chaque peuple interne à chaque pays.

Silentio Delicti.
Nous sommes plus nombreux que les autres. Nous sommes plus nombreux que ceux qui rejettent.
Nous sommes plus forts, aussi. Nous avons le pouvoir, vraiment. Nous sommes plus riches, oui.
Mais nous nous taisons.
Un jour, nous comprendrons le pouvoir de notre parole. Alors, nous nous lèverons et nous parlerons.
Alors, nous ferons taire les excluants.
L’exposition dure jusqu’au 5 mars.
Nous avons jusque là pour nous rappeler que ce silence commence à être lourd.
Il a déjà tué notre peuple.
Il pourrait recommencer.

Le silence est un délit.

Charlotte Picard











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